Henry Poncet Propos recueillis par Catherine Ferey Henri Poncet, fondateur des Éditions Comp'Act, a reçu Plum'Art ce mois-ci. Il parle de passion, de création littéraire, et bien sûr d'édition.
La pure prose n'est jamais " prosaïque ". Elle est aussi poétique et donc aussi rare que la poésie.
Heidegger Plumart : Votre société, les Éditions
Comp'Act, a fêté cette année ses 14 ans. Pouvez-vous nous en faire la genèse ? Henri Poncet : Créée en 1985, notre maison est née de la passion de la littérature.Consacrée à l'édition de création,
elle s'intéresse surtout à des textes contemporains, difficiles à classer entre la poésie, la prose littéraire, le théâtre, les essais critiques, l'esthétique et la
philosophie. Je dirais que Comp'Act édite de la littérature d'aujourd'hui, qui transgresse les genres traditionnels. Nous avons près de 250 titres à notre catalogue, publiés exclusivement à compte d'éditeur.
Pl : Pourquoi avoir choisi de vous implanter en région Rhône-Alpes ? HP : Comme beaucoup d'autres entreprises d'édition, Comp'Act est un
produit typique de la décentralisation. Dès le départ, nous avons fait le choix de ne pas nous installer à Paris, mais en région Rhône-Alpes, pour ne pas subir
le poids d'une grosse agglomération. En conséquence, pas plus que Paris, nous n'avons pas voulu choisir Lyon, mais une ville moyenne, Chambéry, remarquablement située du point de vue de la communication (autoroutes,
chemins de fer, etc.), dans une région magnifique, à côté du lac du Bourget, à l'entrée du massif alpin, près de la Suisse et près de l'Italie, c'est-à-dire au
cœur de l'Europe. L'évolution des modes de communication, l'informatique, le numérique, le fax, le web, etc. permet aujourd'hui d'être un éditeur à visée
nationale sans être parisien. Avec les autoroutes de la communication, depuis sa table de travail on peut se relier au monde entier. Pl :
Quelle place faites-vous dans votre catalogue aux auteurs rhônalpins ? HP : Le fait d'être installé dans une région conduit naturellement à y nouer des
liens humains forts, notamment avec les artistes et les auteurs habitant la région. C'est ainsi que Comp'Act, depuis quinze ans, a publié certains des poètes et
des écrivains parmi les plus remarquables de Rhône-Alpes, comme ,Jean-Pierre Chambon, Roger Dextre, Eugène Durif, Malika Durif, Patrick Laupin, Onuma Nemon, Dominique Poncet, qui sont tous des écrivains à
découvrir absolument ou comme le grand philosophe Henri Maldiney, dont nous avons eu l'honneur de publier un des ouvrages majeurs dans le domaine
de l'esthétique : " L'Art, l'éclair de l'être ". Toutefois, je le dis très fermement, nous ne sommes pas des éditeurs régionalistes, ni même régionaux. Notre
domaine, ce n'est pas le folklore, ni la ruralité nostalgique... CF : Comment travaillez-vous ? HP : Comp'Act emploie cinq salariés, qui sont tous des passionnés du livre et
de l'édition, et tous polyvalents sur le plan technique. Nous maîtrisons l'ensemble de la chaîne graphique : composition et compogravure, mise en
page, travail de l'image, mais aussi impression des livres (nous possédons une imprimerie offset à Chambéry). Certes, un livre vaut d'abord par son texte,
mais aussi pour sa qualité typographique, son rapport texte-image, sa mise en espace, ses qualités bibliophiliques. Le travail de l'éditeur consiste à utiliser ensemble, avec art, tous ces éléments.
Pl : Vous mettez la barre très haut ?! HP : Il le faut, si l'on veut vraiment défendre le livre et la création littéraire. Le pire ennemi, aujourd'hui, c'est le marché lui-même, sur lequel les livres
deviennent des marchandises comme les autres, c'est-à-dire de simples produits destinés à rapporter de l'argent et à rentabiliser du capital. Le livre sur
les rayons des supermarchés, c'est la course aux best-sellers, c'est-à-dire une menace directe pour la création littéraire. Heureusement, il y a des moyens de
défense du livre. Je pense que c'est la poésie qui sauvera le livre, même si les imbéciles sourient finement lorsqu'on tient de tels propos! Toute édition digne
de ce nom doit être un travail de communication au sens fort, un travail de pensée, et non pas un travail publicitaire, mercantile. Pour notre part, à
Comp'Act, nous sommes heureux que les lecteurs éprouvent une passion pour nos livres, et les trouvent beaux, vivants, riches, exigeants, comme c'est le cas
de l'anthologie des " Poèmes à chanter tang et song ", grand classique de la poésie chinoise (VIIe-XIIe siècles) que nous avons fait traduire par un poète
chinois, Yun Shi (de Pékin), et par un écrivain et philosophe français, Jacques Chatain (de Paris). Yun Shi est venu deux fois par le transibérien, depuis
Pékin, pour travailler pendant plusieurs mois avec nous en Savoie; il a réalisé pour nous tout un travail calligraphique de haut niveau. Dans le domaine de la
poésie, je citerai également un de nos livres récents : " Anthologie de la poésie albanaise ", le seul ouvrage de cet importance consacré à la poésie d¹Albanie
et du Kosowo. Cinq siècles de poésie se trouvent ainsi présentés dans cet ouvrage précieux, dans lequel près d'un millier de poèmes sont traduits et
présentés par Alexandre Zotos, professeur à l'Université de Saint-Étienne. Pl : Vous publiez donc beaucoup de littérature étrangère ? HP :
Oui, Comp'Act est connu comme éditeur de littérature étrangère, classique ou contemporaine. Citons quelques-uns des auteurs les plus célèbres
que nous ayons édités, parmi les grands classiques : Héraclite, Eschyle, Ovide, les poètes chinois des tang et song, Shakespeare, Hölderlin, Goethe, Lenz,
Hopkins, John Millinton Singe, Schiele, Stramm, Zanzotto. Nous recevons beaucoup de textes de traducteurs, avec lesquels nous nous découvrons des
affinités, qui s'imposent à nous et finissent par influencer nos choix éditoriaux. Ainsi, nous avons publiés près d'une centaine d'auteurs étrangers dans notre
revue La Main de Singe, et nous continuons à le faire aujourd'hui avec notre nouvelle revue littéraire, La Polygraphe, très appréciée du public des grands lecteurs, en France et dans toute la francophonie.
Pl : Comment diffusez-vous vos livres ? HP : D'abord par le bouche à oreille, dans le milieu de la création, c'est-à-dire parmi les poètes, les plasticiens, les gens de théâtre ou de cinéma, etc.
Nous avons, depuis quinze ans, constitué un fichier de plusieurs milliers d'adresses de lecteurs, auxquels nous nous adressons souvent en direct. Dans
ce monde de la création littéraire, il faut évidemment inclure les bons et les très bons libraires, dont le métier constitue une sorte d'apostolat. Oui, la librairie
comme l'édition ne peuvent être, aujourd'hui, qu'un apostolat. En vérité, le livre de création mérite tout à fait que, les uns et les autres, nous lui consacrions
notre vie. C'est un artisanat prestigieux, exceptionnellement enrichissant. Pl : Éditer une revue comme La Polygraphe, est-ce aussi un apostolat ? HP :
Parfaitement. C'est surtout un immense plaisir, celui de l'expérience concrète de l'amicalité (je vous demande de réfléchir sur ce néologisme). Les
très bonnes revues littéraires se situent exactement à l'endroit où la littérature ne cesse de renaître, dans l'expérience même de la pensée, de son activité la
plus intime, la plus ténue. Les revues sont par définition des foyers de création irremplaçables. Elles fournissent aux nouveaux écrivains l'occasion de franchir
le pas, de prendre un premier contact avec le public. Mais quel public ! Le public des revues est celui des grands lecteurs, qui sont le filtre historique de la
littérature en train de se faire, celle qui demain saura résister et perdurer. Les lecteurs de revue ont un regard aigu, attentif. Je pense que lire une revue est
aussi important que d'y écrire. Lire et écrire sont évidemment des activités inséparables, ce sont les deux pôles de la création littéraire. Nous avons
d'ailleurs édité une carte postale sur laquelle il est inscrit : " Nos lecteurs ont un talent fou ! ", et c'est signé : Comp'Act. Oui, nous avons la certitude que nos lecteurs sont exceptionnellement doués. Pour en savoir plus Éditions Comp'Act 157, Carré Curial 73000 Chambéry T. 04 79 85 27 85 F. 04 79 85 29 34 email : curialedition@infonie.fr
Parmi les dernières publications de Comp'Act : Commandes chez l'éditeur, ou dans les très bonnes librairies littéraires.
(Tous ces livres sont dans le format 21x15 cm)
Thierry Martin-Scherrer, " La maison assiégée ", récit, 112 p., 95 fr Jean-Louis Baudry, " La main d'un ange ", essai, 80 p., 70 fr Dominique Poncet, " Les pentes fabuleuses ", roman, 240 p. 120 fr
Roger Dextre, " Livres perdus ", poésie, 208 p., 120 fr Andrée Barret, " Des gens qui ne partaient jamais ", récit, 112 p., 95 fr Didier Garcia, " Six et un ", roman journalier, 176 p., 120 fr
Jean Lewinski, " la la la ", récits, 240 p., 130 fr Claude-Henri Buffard, " Jeanne heureuse ", théâtre, 80 p., 70 fr Jean-Claude Montel, " Motus ", roman, 136 p., 95 fr
Michel Pouille, " La nature en peinture, Cézanne et l¹art moderne ", essai,144 p., 95 fr Élisabeth Joannès, " Vieillevie ", récit, 104 p., 78 fr Fanny Gondran, " Tulie, juste un peu plus loin ", récit, 80 p., 80 fr
Stefano Agosti, " Lecture de Mallarmé ", essai, 176 p., 80 fr Alexandre Zotos, " Anthologie de la poésie albanaise ", 400 p., 170 fr La Polygraphe n°9/10, 288 p., 90 fr |