Le fruit de l'Eden par Jean-Marie Juvin C'est un plaisir toujours renouvelé de saisir le fruit sur l'arbre et de le dégrafer. Il en est un pourtant qui vous reste collé comme une perle de lait caoutchouteuse sur les doigts si, par défaut, il n'est pas mûr. La figue ne se laisse pas deviner aussi facilement. Son mûrissement ne tient pas seulement à la panoplie des couleurs, aux seules rondeurs, au galbe chaloupé, il faut palper la chair pour en avoir le cœur net.
L'histoire nous ramène à la genèse, en effet le pagne d'Adam et Eve ne serait
autre qu'une feuille de figue, à la différence de la tradition française qui en fait une feuille de vigne. Noé lui même aurait emporté dans son arche, comme un
délice à préserver, des gâteaux de figues sèches. Le Christ, quant à lui, symbolisa sa colère sur la route de Béthanie, à ceux qui refusaient la Nouvelle
Alliance, en condamnant un figuier à ne plus porter de fruits. Cléopâtre fut mortellement blessée au sortir de son bain par un aspic caché dans un panier de
figues. Un roi des Perses décida de s'emparer d'Athènes parce qu'il raffolait de ses figues. Plus proche de nous, c'est en maraudant le fruit succulent sur son
arbre, que l'idée m'est venue d'entamer cette chronique des saveurs. Savez-vous que sous le terme de caprification se désigne le moyen par lequel la
pollenisation des figuiers femelles se fait aux figuiers mâles, généralement au mois de juillet pour donner le meilleur d'elle même au mois d'août et de
septembre. Si la figue est très présente dans notre Provence, elle l'est encore d'autant plus au Proche-Orient, lieu commun à une grande part des récits
historiques cités plus haut. A commencer par la ville de Damas qui serait identifiée au fruit dans une sourate du Coran. Jérusalem, désignerait plutôt
l'olive. La médecine arabe a fait grand cas de la figue, mais aussi du latex, ce précieux lait du figuier qu'on utilisait pour guérir les callosités ou pour attendrir
les viandes. Les hébreux ne révéraient pas moins cet arbre aux fruits si nutritifs et si abondants ; il en est fait mention en plusieurs passages de la Bible :
Ezéchias, malade à mort d'une grave tumeur, fut guéri par un cataplasme de figues mis sur l'ulcère. Aujourd'hui on reconnaît au fruit des vertus hautement
nutritives, adoucissantes et émollientes, qui apaisent notamment les inflammations de la gorge et des poumons. Les anciens Egyptiens portaient une
estime toute particulière à la figue ; ils considéraient ce fruit, qu'ils dénommaient Teb, comme le but de tous les désirs et l'idéal de félicité. C'est sur cette note du
délice et de la métaphore que je souhaiterais terminer cette chronique en remerciant Ziryab (chroniqueur pour le revue Qantara, Institut du Monde
Arabe), de qui je me suis inspiré pour rédiger un grand nombre de ces lignes. Ce même Ziryab, nous renvoyant toutes et tous à un ouvrage essentiel qu'il prend pour référence et qui a pour titre,
Pour un panier de figues de Clément Serguier. enfin pour rendre grace à ce dernier, citons les vers qu'il emprunte à André Gide pour une éloge de la figue : Sa floraison est repliée.
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