Le Tibet

 par Jean Marie Juvin

Le Tibet sera l'invité de la Salle Molière à Lyon, avec un événement rare par son importance dans la région Rhône-Alpes; Lumières du Tibet apportera une effervescence certaine par sa diversité et l'esprit de convivialité dans lequel il souhaite se dérouler.
Après une première édition en 1997 qui fut un succès, l'association Soutien à la Culture et à l'Art Tibétain organise de nouvelles rencontres du 18 au 27 juin 1999, pour mieux faire connaître et découvrir les traits de la culture tibétaine. 
Dévastée par l'occupation chinoise depuis 50 ans, cette société compte environ 130 000 personnes en exil. C'est en parti sur cette communauté en exil que repose la préservation de la culture. L'association Soutien à la Culture et à l'Art Tibétain, grâce à l'événement
Lumières du Tibet, encourage et soutien cette population en exil. En effet, l'ensemble des dons recueillis et les sommes collectées lors de ces manifestations, sont intégralement redistribuées aux organismes culturels approuvés par le Gouvernement tibétain en exil. 
10 jours, pour mieux comprendre les multiples facettes du Tibet: "la culture traditionnelle comme contemporaine, le bouddhisme et la situation actuelle au Pays des Neiges".
Opéra traditionnel, expositions, contes chantés et mimés, concerts, conférences, atelier d'initiation à la calligraphie, réalisation d'un Mandala (par Gheshey Thunpten), viendront égrainer ces journées; mais aussi des films, des rencontres, une librairie, la présence d'associations de la région Rhône-Alpes, et la liste n'est pas exhaustive.
C'est à un véritable voyage initiatique et une réflexion profonde, que l'événement
Lumières du Tibet invite le plus grand nombre.  

Du 18 au 27 juin 1999.
Salle Molière – Espace Quai de Bondy
Rens : 04 72 43 95 62

 

Mathieu Ricard
Propos recueillis par Jean-Marie Juvin et Patrice Pegeault

Matthieu Ricard, interprète officiel du Dalaï-Lama en français, sera l'une des personnalités invitées pour cette occasion. Nous l'avons rencontré, il y a trois mois lors de son dernier passage en France, pour évoquer son engagement dans le Bouddhisme.

Plumart Votre père parle de changement radical dans votre vie, entre le doctorat d'Etat en biologie moléculaire et le cheminement spirituel qui vous a conduit vers le Bouddhisme?

Matthieu Ricard – Cela peut paraître radical de l'extérieur, mais lorsque c'est une continuité de recherche intérieure et de développement personnel, il n'y a alors pas vraiment de changement. De l'enfance jusqu'à aujourd'hui, j'ai suivi un chemin. Cela correspond à un fort désir personnel de continuer dans une voie, que l'on a d'abord cherché dans la nature, dans la science, et que l'on trouve finalement dans la vie contemplative; il n'y a rien de radical à cela.

Plumart Alors que le Dalaï-Lama nous invite à se rapprocher de nos modèles culturels religieux, qu'est-ce qui fait que vous occidental, vous ayez choisi le Bouddhisme comme voie d'accomplissement?

M.Ricard – Pour ma part j'ai été élevé de façon laïque, totalement areligieuse. Je n'avais pas encore de racines. J'ai commencé à les trouver lorsque j'ai rencontré mon maître spirituel; Kangyour Rimpotché. En 1966, aucun lama n'était jamais venu en Occident, et personne ne s'intéressait au Bouddhisme. Lorsque j'y suis allé pour la première fois en 1967, j'avais seulement vu le film d'Arnaud Desjardin sur les grands maîtres tibétains. Il y avait là, une sorte d'indication extraordinaire de l'existence de ces hommes là.

Plumart Existe-t-il une comparaison possible, entre l'intensité investie par le chercheur scientifique pour se rapprocher de l'origine de la vie, et l'intensité avec laquelle on se consacre à sa recherche propre; une vérité pour soi-même?

M.Ricard – L'intensité, oui bien sur. Mais il y a une hiérarchie, entre ce que l'on a besoin de savoir pour démêler les mécanismes du bonheur, de la souffrance, et ce qui est plus ou moins utile. C'est très impressionnant de savoir que la terre est ronde, qu'elle n'est pas plate, mais ça ne change rien au fait que la haine engendre la souffrance, de même que l'orgueil, l'avidité, la jalousie. En fait, tout dépend de ce que l'on veut faire, trouver la distance qui sépare la terre à la lune ou bien trouver une plénitude dans l'existence. Les deux sont valables, il faut simplement savoir à quoi on accorde le plus d'importance. 

Plumart Le Dalaï-Lama participe à des séminaires qui s'intitulent "Mind & Life", pourriez-vous nous apporter quelques précisions?

M.Ricard – On y aborde les sciences cognitives, le rêve, le fonctionnement de la conscience, la mort. Deux ont eu pour sujet, la physique quantique et d'autres sont en préparation. 

Plumart – Comment peut-il y avoir compatibilité entre le fait de perpétuer une tradition spirituelle millénaire, et l'intérêt que vous portez pour les dernières découvertes scientifiques?

M.Ricard – Il s'agit simplement d'éclairer des sujets, qui ont intéressé de tous temps la métaphysique bouddhiste. Savoir si le temps est un concept où s'il existe vraiment? L'espace existe-il, y a-t-il une cause première à l'univers. La conscience se réduit-elle au système neuronal? Ces questions sont l'objet constant, d'analyses et de débats dans le cercle du Bouddhisme. Connaître l'avis de spécialistes, qui ont étudié ces sujets de façon très profonde, nous semble important. Bien avant les Grecs, il y avait une théorie de l'atome chez les bouddhistes, évidemment bien moins précise que l'analyse faite aujourd'hui par la science moderne. Concernant la science introspective, il semble que la science contemplative soit plus avancée que la psychanalyse et la psychologie par exemple. Les deux ont intérêt à se comparer, il s'agit de s'instruire. 

Plumart - Le Bouddhisme est une spiritualité dénuée de prosélytisme. Est-ce pour cette raison qu'on l'aborde d'avantage comme une philosophie, plutôt qu'une religion?

M.Ricard – Le mieux est de l'évoquer comme un chemin de transformation personnel, un parcours auquel on donne un sens. Pour cela, on peut utiliser des éléments de philosophie, de religion, de dévotion parfois, ainsi que des éléments d'analyse logique. Dans la mesure où c'est un chemin, on peut utiliser différentes facettes. 

Plumart – Est-ce que le Karma peut être ramené, à la notion de destin?

M.Ricard – Non, le destin est une chose qui vous est imposée, soit par un créateur, soit par un mécanisme. Le Karma est la résultante d'innombrables actions libres. On est à chaque instant à la croisée des chemins, on fait des choix. On ne peut pas se plaindre d'avoir pris un chemin mal goudronné, ou chaotique; les choix ne sont pas sans conséquences, mais ils ne résultent pas d'un destin imposé. On peut dire qu'on est la résultante de ce qu'on a fait, et l'architecte de son futur. Le Karma veut dire action, il implique les lois de cause à effet. La seule différence avec ce qu'on pourrait appeler les lois de cause à effet ordinaire; c'est que le Bouddhisme envisage un flot de conscience qui se perpétue, qui n'est pas simplement immédiat à cette vie. Il y a bien sur un horizon plus vaste, si l'on remonte à des existences précédentes, en cela c'est différent. 

Plumart – Comment expliquer simplement l'idée d'impermanence?

M.Ricard – Il n'y a qu'à regarder autour de soi. L'impermanence de chaque instant, des saisons, de la jeunesse à la vieillesse. L'impermanence subtile, on pense que cette table est permanente, parce qu'on ne se rend pas compte qu'elle se transforme en un temps infinitésimal. Les atomes qui la constituent sont en perpétuel mouvement, la physique ne nous contredira pas.
Nous avons cette notion de la permanence des choses, car nous voudrions durer, notre ego est constant, les objets qui nous entourent nous appartiennent.
On regarde l'impermanence mais on ne l'accepte pas intellectuellement, c'est une sorte de constatation dont on ne tire pas les conséquences logiques.

Plumart Est-ce qu'on peut admettre que la compassion puisse être souffrance?

M.Ricard – Si vous vous apitoyez sur vos propres maux, vous vous découragez. Si vous êtes conscients de la souffrance d'autrui, cela donne plus de courage pour faire des choses. Le médecin qui voit beaucoup de souffrance, ne se tord pas les mains d'angoisse, il agit le plus vite possible, il ne pense qu'à soulager la souffrance. Plus il y a de souffrance, plus il y a de courage, car on ne s'arrête plus sur les petites douleurs.

Plumart – On évoque beaucoup les similitudes qui peuvent exister, entre l'esprit du Bouddhisme et le Christianisme. Pouvez-vous nous en parler?

M.Ricard – Oui, il y a des choses évidentes. Le Bouddha est venu cinq siècles avant Jésus-Christ, mais ils sont arrivés tous les deux de façon similaire, dans un contexte très rigide. Le judaïsme du temple en Palestine, les pharisiens, et une religion sacrificielle. Une hiérarchie très forte, presque sous forme de caste. Pour le Bouddha, une société hindoue où il y avait le brahmanisme, le système des castes… Tous deux sont allés vers les êtres, avec l'expérience du cœur. Le Christ a enseigné à des prostituées, le Bouddha à des gens de basse caste qui n'osaient même pas l'approcher. Ils ont cette même approche d'une religion; de l'expérience et du cœur. Ensuite, il y a eu de nouveau l'Eglise, qui a structuré cela dans la chrétienté et un peu dans le bouddhisme; mais eux-mêmes étaient très proches. Un livre très intéressant vient de paraître, qui analyse historiquement les rapports de l'Inde et du Proche-Orient à cette époque; il s'intitule Jésus, Bouddha de l'Occident . Il montre bien comment, la façon dont ils sont apparus et la manière dont ils ont transformé leur société, est similaire. 

…Contrairement à Jésus, Bouddha ne se rattachait à aucune divinité. Jésus s'est présenté comme étant le fils de Dieu…

M.Ricard – Qui a dit cela? Ce sont les apôtres après lui, Jean est le premier à le dire. Jésus quant à lui, ne l'a jamais prononcé.  

Plumart Vous êtes aujourd'hui amené à côtoyer le Dalaï-Lama, a-t-il une analyse politique sur l'état du monde actuel?

M.Ricard – Il pense qu'il y a un manque de sens et de responsabilité global. On ne peut pas construire son bonheur seul, au niveau de la personne, du village, de la Nation, des Nations. L'idée qui voudrait qu'on puisse construire son bonheur, au détriment des autres, en détruisant l'environnement à son profit par exemple, ne peut en fin de compte nous rendre heureux. En monopolisant les richesses, on ne peut pas être heureux. Notre bien-être est lié à celui de tous les êtres humains, des animaux, de l'environnement. Le Dalaï-Lama pense que le sentiment "d'être concerné", de responsabilité universelle devrait être beaucoup plus présent à l'échelle de la planète. Le fossé entre les pays du nord et du sud, entre les pays dits développés et ceux en voie de développement – pour ne pas dire miséreux – est totalement anormal.

Les pays riches qui pour l'instant se maintiennent tels quels, n'imaginent pas que c'est à leur détriment. Le Dalaï-Lama a une vue très humaine de ce que devrait être la coopération entre les Nations et les peuples. Il est pour une politique totalement non violente, impliquant le désarmement. Aujourd'hui, 95% des armes qui sont vendues sont fabriquées par les 5 membres permanents du Conseil de sécurité des Nations-Unies, c'est un scandale invraisemblable.

On va ensuite se plaindre qu'il faut intervenir auprès des Nations pour obtenir la paix; la paix des armes que l'on aura vendues. Cet exemple, est à l'échelon mondial, il est inadmissible. Le Dalaï-Lama en parle souvent.
Seulement, cela doit commencer par une volonté de se changer soi-même, le désarmement extérieur commence par le désarmement intérieur. Si tout le monde est en colère, on finira toujours par se taper dessus, ça paraît normal.

Plumart - Comment observez-vous, la campagne de diffamation qui est faite sur la personne du Dalaï-Lama. N'est-elle pas à rapprocher du fait que les autorités chinoises ont nommé elles-mêmes un jeune Pachen-Lama (seconde autorité pour les Tibétains avec le Dalaï-Lama), et qu'elle tentent ainsi de confectionner un Bouddhisme d'Etat?

M.Ricard – En effet, les Chinois disent que le Dalaï-Lama vivait dans une pièce tapissée de peaux de bébés, et qu'il se nourrissait du crâne des enfants. C'est la propagande chinoise qui est enseignée dans les écoles. Concernant la nomination du Pachen-Lama, c'est le cas typique d'un gouvernement communiste. D'un côté, ils disent que le Dalaï-Lama ne sait pas reconnaître la réincarnation d'un lama défunt, et eux, gouvernement athée et communiste trouve cette réincarnation. Le Pachen-Lama désigné par le Dalaï-Lama a aujourd'hui 6 ans, il est en détention avec ses parents depuis cinq ans, on ne sait pas où. C'est le plus jeune prisonnier politique du monde. Ils voudraient de cette manière donner des leçons de réincarnation au Dalaï-Lama. L'absurdité est poussée jusqu'à vouloir faire croire cela aux puissances occidentales, qui gardent précautionneusement le silence. Cela montre à quel point nos hommes d'Etat sont des chefs d'entreprises, seul le portefeuille compte, dans la perspective de vendre quelques avions de lignes. Il existe un rapport de 365 pages sur la situation au Tibet, publié en décembre 1997 par la commission internationale des juristes de Genève. Il stipule, que selon les critères de la loi internationale, le Tibet est un pays occupé, qui avait auparavant des rapports diplomatiques avec la Russie, la Chine, le Népal, l'Inde et l'Angleterre, et toutes les caractéristiques d'une Nation. Il s'agit bien là, de l'occupation illégitime d'une Nation. Aucun chef d'Etat ne fait référence à la loi internationale, ou au fait qu'il faille préserver la culture tibétaine. On se demande à quoi sert la loi internationale? La Commission Internationale des Droits de l'Homme se réunit tous les ans pendant un mois à Genève: l'année dernière le Soudan et le Nigeria ont été évoqués, la France elle, a mis son veto à ce qu'on parle de la Chine, sous le prétexte de progrès effectués par cette dernière. Si on ne parle pas des Droits de l'Homme en Chine quant un organisme aussi important se réunit pendant un mois, il y a là un véritable exp loit! 

 - J-F.Revel et Mathieu Ricard/ Ph. M.Silverstone.