Festivals (1)

Par Dominique Dubreuil

BEAUREGARD
/ Mozart à l'Orangerie / Rh-A.centre / 69 / 200m (4 fois 28-06 à 01-07)
Le lieu n'est pas banal, aux portes de Lyon, avec son Orangerie XVIe dans un parc magique à la tombée de la nuit: pourquoi ne pas songer à des Noces de Figaro, Suzanne attendant sous les marronniers, Chérubin,
Almaviva et la Comtesse jouant au cache-cache du désir et du pardon? Quand le petit festival aura "grandi", il faudra se lancer dans de folles journées et aventures… Pour l'instant, on en reste à un regard raisonné sur des œuvres profondes, du cœur révélateur. Pierre Hantaï, cette fois au piano-forte (qui a des couleurs si tendres et vraies) et Amandine Beyer au violon chantent trois des sonates K.300, (Wolfgang a 21 ans) et en particulier la mi mineur (K.304) tant aimée des mozartiens qui y retrouvent la tension et l'unisson passionnés, et aussi une œuvre d'ultra-jeunesse (K.26), et encore la K.376. La Ca'd'Oro (3 jeunes instrumentistes issus du CNDM de Lyon) suivent le Mozart de 31 ans pour le Trio K.548, passent le relais au jeune Beethoven et son premier Trio (op.1/1), et aussi à Ignace Pleyel, un Français dont le rôle fut si déterminant à Vienne, Londres et bien sûr Paris; comment sonnent les instruments de sa "fabrique", et en écho de ses contemporains Mozart et Beethoven, son écriture "en trio"? Patrick Cohen, autre grand des claviers, confronte Mozart "alla turca" (la sonate K.331) et Mozart pré-romantique (Sonate-fantaisie K.457-475) à Mozart fils (Franz Xaver, variations sur… Don Giovanni) et aux contemporains autrichien (Eberl) ou français ( une sonate extraite de l'œuvre si troublante de Hyacinthe Jadin, mort à 24 ans pendant la Révolution). Le 4e concert donné par A Sei Voci de Bernard-Fabre-Garrus semblerait, lui, hors Wolfgang, avec sa Messe de l'Italien baroque Bencini et un certain Miserere d'Allegri (1ère moitié du XVIIe). Ma se non vero  e ben trovato : le Miserere était la propriété privée du Pape, qui la laissait écouter mais interdisait les copies. Sans compter avec la mémoire immédiatement sténographique de l'enfant Amadeus en voyage romain,  qui s'en alla boire un capuccino et noter illico la partition verboten-copyright. On n'arrête pas les transgressions de la jeunesse, Sua Santitta!
(T. 04 78 86 82 00)
Ph.: Voûtes de l'Orangerie / St Genis-Laval ©DR

DARDILLY
(vendredis de) / tutto barocco / Rh-A.centre (69) 300m / 6 concerts entre 07 et 29/06)
15 e édition, courageuse, inventive le vendredi et les autres jours de la semaine. Comme l'écrit le prière d'insérer: "L'oeuvre est toujours du côté de l'être, pas de l'avoir ni du savoir" Ni du paraître, bien sûr. Quant au mot, qui est le maître-terme de la session 06, il a sa musique. C'est pour cela que le concert d'ouverture réunit la comédienne Brigitte Fossey, l'organiste Loïc Mallié, et donc les œuvres d'orgue de ce compositeur travaillant et enseignant à Lyon et celles de Jean-Sébastien Bach, avec 4 autres complices instrumentistes. Ensuite l'ensemble Unisoni revisite les mots et les choses de la planète Bach: trois cantates ( BWV 35, 54 et 170), avec l'alto Jean-Paul Bonnevale, puis le concerto de violon 1041, le 4e Brandebourgeois et la 1e Suite. La Compagnie Zéotrope (ça doit vouloir dire: attiré vers le vivre, non?) convie au Jardin Baroque pour "manger, boire, écouter poésie et musique, parler politique et avenir, refaire le monde, rire et pleurer" (c'était le programme affiché par une patronne de cabaret XVIIIe). Enfin, retour à Bach et Purcell en sonates à 4 ou 2, et grâce à Yves Rechsteiner, aux œuvres du Kantor pour orgue et clavecin.
(T. 04 78 47 46 23 / 06 83 12 92 00)

FOURVIERE (Nuits de)
/ généraliste-sur-antique / Rh-A.centre (69) 250m /
 12 fois entre 14/06 et 24/07.
Plus belles, parfois, que les jours d'été plus ou moins (ou trop) tranquilles à Lyon…
Cette année, la programmation sur la colline des Théâtres Antiques inscrit plus résolument, tout au moins de façon associée, voire indirecte ou complémentaire, ce qu'on appelle classique-et-contemporain. Cela commence au trot ou galop par une création de Bartabas dirigeant l'Académie du Spectacle Equestre de Versailles :
on parie sur le fait que les équidés aiment Jean-Sébastien Bach; "leur partenaire du clavier", Alexandre Tharaud, décidément très lyonnais ces temps-ci (et ça le changera du climat acoustique de la Salle Molière, mais l'ampli sophistiquée couvre le bruit des sabots, non?) leur donnera le juste tempo. Est-ce une astuce de titre en prolongement: voici revenir la Bête (et sa Belle), le film-fétiche de Cocteau. Philip Glass n'en conserve que les images, "compose sa propre musique, transformant les dialogues en parties chantées: la Belle et la Bête se voit devenir opéra à part entière. Cocteau avait orné ce conte de fées d'images à la Vermeer: Glass lui ajoute une 3e dimension, démultipliant la féerie de ces luminescences d'outre-tombe en tissant des soieries électroniques venant comme autant d'ombres portées de l'aura qui entoure chaque plan" L'intérêt s'accroît de la présence du compositeur et de l'ensemble qui porte son nom (dirigé par Michael Riesman). Puis "transcriptions", le second volet de la création imaginée par Laurence Equilbey pour son chœur Accentus: l'exercice d'écriture est classique chez les musiciens, mais les adaptations chorales et pour super-espace peuvent surprendre, s'agissant de Bach, Schubert, Scriabine, Debussy, Ravel, sinon Mahler ou Wagner "naturellement" sur grand écran sonore, et on peut compter sur la science d'analyse, de dosage et de sensibilité sonores de la musicienne pour équilibrer tout cela sans céder aux vertiges du gigantisme ou du pittoresque.
Un habitué des grands espaces de public, c'est bien Jean-Claude Casadesus qui conduit son Orchestre National de Lille (l'autre O.N.L). Il fera passer le fantastique russe d'Une Nuit sur le Mont-Chauve ( Fourvière et même les Monts d'Or, c'est à côté du délire moussorgskien la rationalité même!)et les visions des Tableaux d'une exposition, orchestrés par Ravel évidemment. Un peu de vent d'ouest amènera le climat du Massif Central et les beaux Chants d'Auvergne glanés par Joseph Canteloube à la fin XIXe seront portés par la voix de Véronique Gens. Un travail original sera celui d'un duo voix et violoncelle (mais n'est-ce pas "l'instrument le plus proche de la voix humaine"?): la tragédienne Fanny Ardant et la mélodieuse Sonia Wieder-Atherton s'unissent pour proclamer et chuchoter le langage-Médée, à travers des musiques du XVIIe (Monteverdi), du XXe (Chostakovitch) et du XXIe (Dusapin). Monologue dans la pleine accession du terme: Julia Migenes, sous la direction musicale d'Edouard Ferlet et dans une mise en scène de Philippe Calvaro, carmenise et se livre à l'opéra en général (y compris le contemporain Eötvös), sans dédaigner la comédie musicale américaine ou le tango argentin. Enfin Mozart, en version "gamin tête à claques" dans la version définitive de l'Amadeus de Forman – écran géant - , et en jazz grâce à Chick Corea, qui mixe son 2e concerto de piano, ses standards et autres compositions avec l'authentique 24e (K.491) de Wolfgang en sa maturité d'angoisse et d'énergie.
 
www.nuitsdefourviere.fr
Ph.: Jean-Claude Casadesus ©DR

GRESIVAUDAN
/ chambrisme / Rh-A est (38) / 250m / 6 fois entre 30/6 et 12/07
Ce festival est repris en programmation artistique par la piano-fortiste Laure Colladant, qui lui donne une partie de sa coloration entre classicisme et romantisme; elle-même est en duo avec la soprano Françoise Masset pour lieder et pièces de clavier, Mozart et Schubert. Bien sûr, on ne saurait ici bouder l'Anniversaire, et Wolfgang figure aussi au programme du Trio Athéna et du flûtiste Jean Ferrandis, notamment dans une transcription de la 40e symphonie. Mozart encore pour le duo de violon (Charlotte Bonneton) piano (Nima Sarkechik), prolongé par Fauré et Ravel. Et Mozart entre Beethoven et Chopin pour le pianiste Josep Colom. Le Quatuor Ebene choisit Haydn, Beethoven et Bartok. Et l'autre quatuor, Barrios Mangore, voue ses 4 guitares aux danses et chants populaires d'Amérique Latine.
(T. 04 76 08 15 02 www.musiquedanslegresivaudan.com )

SAOU
/ Mozart en grâce / Rh-A sud (26) / 300m /
15 fois entre 17/06 et 23/07.

Pour le 250e anniversaire fêté par tout le monde
(et bien souvent sans mérite aucun, en suivant paresseusement le courant porteur), que faire en un festival qui reste le seul à s'appeler Mozart? Continuer, réfléchir, resituer l'œuvre en ses thématiques affectives et esthétiques.
Comme l'explique en sensibilité la déclaration d'intentions 2006: "C'est un art de grâce et de légèreté. Ou un témoignage bouleversant des joies et des souffrances d'un homme qui a traversé tous les états, de la sujétion à un prince d'ancien régime jusqu'à la liberté chèrement payée, de la gloire du jeune prodige aux oubliettes d'une société frivole.
La vraie nature de sa musique commence à se préciser dans son immensité: ni puérile ni pontifiante, simplement humaine et fraternelle, mais avec génie" Les compositeurs d'aujourd'hui comme ceux du XIXe puisent toujours à cette source, en ajoutant que les programmes d'anniversaire peuvent faire référence aux "œuvres essentielles" (entendons aussi: les plus aimées du public), pourvu que les fidèles et passionnés du festival aient travaillé à cerner celles-là. Bref de ce que nous oserons nommer l'inévitable Requiem à de l'inédit, tels un mouvement de concerto inachevé pour hautbois (K.293) et complété par le musicologue Frédéric Gonin ou une création de David Wohnlich en écho de la Gran Partita K.361, dans le cadre murmurant de la forêt de Saou… Côté œuvre sacrée, c'est donc le Concert de l'Hostel Dieu (F.E.Comte) qui , pour la soirée d'ouverture, refait le voyage du Requiem ,et des extraits de la Messe K.427, cet hommage (inachevé: pour Constance, on aura remarqué qu'il en va ainsi… ) au milieu desquels l'extatico-baroque vocalise de l'Et Incarnatus est (la soprano Akemi Nayakama). Une 2nde fois, le Requiem est d'ailleurs repris, et augmenté du terminal Ave Verum, ainsi que du miroir de la spiritualité maçonnique, la sublime Ode sur la mort K.477. Et l'ensemble Les Fourberies d'Escarpin et musique ancienne de Romans s'affronte à la toute baroque et juvénile Messe du Couronnement, K.417… Côté cour des orchestres, celui d'Auvergne (Arie van Beek) va à Prague (la 38e Symphonie) et à Moscou (Moz'Art à la Haydn, de Schnittke) puis accompagne la violoniste Mirijam Contzen dans le 5e (K.219). Mais aussi, ailleurs, suit Régine Müller pour le concerto de clarinette, rassemble ses solistes pour la Concertante reconstituée (K.297b) et s'occupe de Petits Riens (K.299). L'Orchestre de Savoie (OPS, dir. Graziella Contratto)  suit Berio chez Papageno, met chapeau bas devant les variations Chopin sur La ci darem la mano, solminorise dans la 25e Symphonie (pré-écho fiévreux de la 40e) et va au ciel en compagnie de Frank Braley pour le 23e de piano, K.488.
Côté jardin des délices, on suivra les Talich à la chasse (K.458) et aux dissonances –(K.465), donc dans 2 de la série dédiée à Haydn, et dans l'avant-dernier de toute l'écriture K.589, très tendu. On passera par le Salon de la musique, où B.Kapfer, N.Geoffray, S.Marcel et Y. Callier travaillent sur les quatuors avec flûte ou leurs transcriptions et sur l'admirable Trio-Divertimento K.563. Philippe Bernold et ses amis (Michel Dalberto, Tedi Papavrami, Marc Coppey) varient sur les variations inspirées depuis le XIXe (Beethoven, Reicha, le cher Reynaldo Hahn). Fazil Say montre qu'on peut tout faire au piano: varier "vous dirai-je maman", turquiser dans la sonate K.331, aller en fantaisie romantique (K.397) et sérier le sérail (Say, inside Serial). En contrepoint, un précieux et intime programme de synthèse explore les diamants de la pensée musicale solitaire, parfois douloureuse: lieder "Sentiment du soir", "Quand Louise… ", Rondo K.511, Adagio K.540 où le piano est si tragique, grâce à Françoise Masset et Laure Colladant (dans la couleur si vraie du pianoforte). Se détendre en se faisant une toile en plein air (Forman-Amadeus, Losey, Godard), et célébrer, grâce à l'octuor Ad libitum,  la république (post-mozartienne certes, mais il n'eût pas forcément détesté) au soir du 14 juillet…
(T. 04 75 76 01 72; www.saouchantemozart.com )
Ph.: Mirijam Contzen ©DR