Ruedi Baur à Lyon
Plis repassés

Par Florence Charpigny

Pas très loin de Lyon, il y a un restaurant que j'aime bien, pour sa cuisine roborative bien sûr, mais aussi pour la signalétique de ses commodités : au-dessus d'une porte est accroché un poupon vêtu d'un habit
"à la française", au-dessus de l'autre, une poupée en robe à paniers: nul besoin de connaître l'histoire du costume pour s'y retrouver.
Sur les aires d'autoroutes, c'est autre chose,
il est souvent nécessaire de scruter comparativement les logos pour savoir où se diriger. Une signalétique bien comprise vaut par son immédiate compréhension, mais aussi par son adéquation au lieu; dans mon restaurant rustique, les poupées sont à l'image de la cuisine: simples et efficaces.

Ce n'est pas Ruedi Baur, maître signaléticien s'il en est, qui me contredira. Ses réalisations dans la région lyonnaise, pour Octobre des arts, la Cité internationale, la Maison du livre, de l'image et du son de Villeurbanne sont connues de tous, comme l'identité visuelle et la signalétique du Centre Pompidou. A l'initiative de Jack Dumont, directeur adjoint de la communication du Grand Lyon, c'est son parcours, des années 80 à aujourd'hui, qui est actuellement retracé dans trois lieux différents de Rhône-Alpes. Moins comme le bilan d'une activité, semble-t-il, que comme une tentative de mise au jour, au moyen d'expositions, des mécanismes et des logiques de fabrication de notre environnement graphique, saisies autour de la production de l'agence Intégral Ruedi Baur et associés, l'une de celles qui conçoit et réalise ces assemblages de textes (de la signalisation au précepte), d'images (du pictogramme à la figure) disséminés dans l'espace commun,  banalisés, quotidiennement côtoyés et parfois subis.

Non sans témérité, tant le champ est vaste et complexe. De quoi s'agit-il ? Il n'est jamais inutile de s'interroger sur le sens des mots. Signalétique renvoie à signaux et signes, communication renvoie à message, eux-mêmes renvoient à des disciplines : la linguistique et la sémiologie, aptes à procurer le cadre théorique et les outils propres à l'analyse - et la compréhension - des représentations et des systèmes signifiants. Ceci, convenons-en, constituant un admirable défi au concept même d'exposition, qui élabore son propre langage constitué, pour dire vite, de dispositifs de mise en espace et en scène d'objets, au sens de "t out élément ayant une identité propre, produit par un art ou une technique et considéré dans ses rapports avec cet art ou cette technique": le texte ou l'image, par exemple. Ruedi Baur s'est dispensé de tout ce fatras conceptuel et montre, dans un raccourci saisissant, que tout est dans tout, et réciproquement. Au Musée de l'imprimerie (dépliage) comme à la galerie Roger Tator (déplioire), le visiteur se trouve confronté aux mêmes objets, au même dispositif : du texte et de l'image qui ont en commun de figurer sur de grandes feuilles de papier, reliées entre elles ici comme des livres, là comme des rames de papier sur des rotatives. Le visiteur peut avoir envie de les regarder, de les lire : ici une compilation des projets de l'agence IRBA, là des témoignages graphiques de la médiatisation de l'état d'urgence décrété l'hiver dernier. Tout cela déploie ses plis dans une sursaturation feuilletée métonymo-métaphorique qui ne laisse aucune place à la méditation, à l'imaginaire, à la rêverie… à l'image même de la communication visuelle souvent plus injonctive qu'informative: dans un superbe élan d'empathie dûment provoqué par le surbaissement des objets suspendus au plafond, nous courbons le corps pour pénétrer dans la galerie Roger Tator; dans un merveilleux élan de curiosité quant aux productions d'IRBA, nous admirons les projets présentés selon des thématiques qui rapprochent des objets qui n'ont à priori pas de relation entre eux (je cite)…
Avec des plis, on fait bien des choses : des éventails, des enveloppes, des cartes routières, des missives, tout ça avec des plis couchés, ronds ou creux. Quand on déplie, il en reste toujours les traces. Mais bien sûr, ce n'est pas ainsi qu'il faut aborder l'œuvre de Ruedi Baur : il est bien connu que le savoir isole et que les catégories enferment dans leurs limites. Et comme tout le monde sait, passé les bornes, il n'y a plus de limites.

jusqu'au 19 mai 2006
Déplioire / Galerie Roger Tator
www.rogertator.com
jusqu'au 31 août 2006
Dépliage et dépliement / Musée de l'Imprimerie
www.imprimerie.lyon.fr
Déplioire / Exposition à la Galerie Roger Tator
Ruedi Baur © Photo : D.R.
Vue extérieure de l'installation Déplioire , présentée à la Galerie Roger Tator.