Claude Minière, Pall Mall

Par Jean-Paul Gavard-Perret

Entre journal et poésie, Claude Minière extrait de tous les jours ce qui peut faire un sens, même si dans l'éparpillement celui-là n'est pas évident.
Mais, pour lui, la littérature reste toujours une recherche d'une vérité, la recherche de la vie.
Cependant, cela demeure complexe.
D'une part, comme l'écrit Christian Oster, dans la littérature il y a un double risque : "soit la vérité dérobe la vie, soit la vie dérobe la vérité".
Ainsi à ce que Nietzsche nomme le "jargon de l'authenticité" , à ce fol espoir de la littérature de lutter contre la réalité afin d'aller vers ce que Zizek nomme " le réel parallaxique " qui permet dans sa dimension symbolique d'aller vers une méthode d' "optique" et qui représente la manifestation de sa lucidité de la littérature, il y a tout ce qui passe et qui ne passe pas. Bref, écrire n'est pas simple. C'est pourquoi la littérature est toujours contrainte de naviguer en eaux troubles. Le lecteur croit - parce que trop souvent l'écrivain le croît ou veut se le faire croire - que ce dernier est quelqu'un de conscient, plus ou moins savant. De fait, la traque d'une vérité passe par d'autres voies, par des chemins détournés que Valère Novarina a résumé ainsi : " j'ai toujours pratiqué la littérature non comme un exercice intelligent mais comme une cure d'idiotie ". Cependant l'auteur a soin de préciser " je m'y livre laborieusement, méthodiquement, quotidiennement comme à une science de l'ignorance " . Claude Minière comprend la littérature de la même façon, et c'est pourquoi plus qu'un journal, son livre est un exercice d'écriture, c'est-à-dire le moyen par la forme même d'atteindre sinon le fond de la vie, du moins d'en retirer l'écume pour voir ce qui se passe plus profond. L'auteur n'en fint donc pas - sinon pour notre plaisir, du moins pour notre connaissance - d'explorer des états vacillants et toujours menacés de l'être là où - pour la plus grande douleur ou le plus grand bonheur - les barrières du moi cèdent en des extases nues et devant des autorités qui s'expient sans doute de manière très provisoire. Un tel texte reste dans sa brièveté même évidemment complexe. Il superpose un feuilleté de moments qui dénonce l'écart irréductible - lui-même objet de pensée - qui sépare l'homme du réel.

Claude Minière, Pall Mall, journal 2000-2003 , éditions Comp'act, Chambéry.