Théâtre du Grabuge
3 créations

par Yves Neyrolles

C'est dans le grand Foyer-Bibliothèque de l'Armée du Salut, avenue Thiers, que la Compagnie du Théâtre du Grabuge présente sa nouvelle saison. Sur une plaque fixée au mur, je lis cette phrase: "Dieu donne un foyer aux isolés" (Psaume 68 – verset 7) qui confirme et éclaire tout à fait le propos du directeur du lieu,
lequel cependant ne prononce pas le nom capital mais évoque les actions que son association mène pour aider les sans toits, les démunis, les isolés à sortir de leur enfermement et, en entrant dans un espace apparemment fermé, à se voir proposer,
en plus du soutien de base (un toit, de la nourriture), des activités qui les aident à rétablir un lien chaleureux avec le monde. Des activités comme, par exemple, l'expression théâtrale. Et c'est tout le sens d e la présence des comédiens, d'un musicien, d'un chanteur et des techniciens de la Compagnie du Théâtre du Grabuge en cette matinée de novembre. Géraldine Bénichou, metteur en scène et responsable artistique de la Compagnie présente ses compagnons: Lancelot Hamelin, auteur et metteur en scène, Philippe Gordiani, compositeur, Sylvain Bolle-Reddat, Jeanne Brouaye, Hidem Mesbah et Madeleine Assas, comédiens, Salah Gaoua, chanteur, Otmane Yahi, musicien, Gaëlle Carié, chargée de l'administration et Florence Ralaimongo, responsable des "Passerelles".
Et justement, tout aussitôt (ou presque), cet ensemble se lance, avec la participation du public, un public de presse puisque nous sommes à une conférence de presse, dans une "Passerelle", qui fait ressurgir dans notre présent la langue antique d'Homère traduite par le grand poète Philippe Jacottet: nous voici tous embarqués, "reliés" si j'ose dire à l'une des aventures d'Ulysse, et nous vivons, nous partageons le temps de son arrivée à la cour du roi Alcinoos, en Phéacie. Le Théâtre du Grabuge procède ainsi depuis bientôt dix ans. Compagnie "sans murs", elle se produit certes dans des théâtres (à celui de la Croix-Rousse la saison dernière, voir PlumArt n°72) mais d'abord, et surtout, dans des lieux "sensibles": asiles de nuit, prisons, foyers de travailleurs immigrés etc, proposant ces "Passerelles" qui créent une liaison conviviale entre des professionnels et un public pas évidemment, pas forcément acquis d'emblée à la cause théâtrale.

Ce type de rencontres qu'initie le Théâtre du Grabuge suppose une aide importante des pouvoirs publics et, effectivement, dans le cadre de la politique de la ville (que l'on souhaiterait peut-être plus audacieuse encore étant donné les "éclats" actuels, révélateurs de nombreuses faiblesses), Lyon, mais aussi la Région RhônAlpes, le Département du Rhône et l'État (par le biais de la DRAC) apportent le soutien nécessaire à l'existence d'une compagnie qui a choisi d'associer fortement le social au culturel, de donner au culturel une forte ambition sociale. On pourrait ajouter: une forte ambition artistique. En témoigne le choix des spectacles proposés pour cette nouvelle saison. Ce sera d'abord une reprise, "retravaillée comme une seconde création" du Cri d'Antigone, d'après Œdipe sur la route et Antigone , deux récits d'Henry Bauchau, adaptés et mis en scène par Géraldine Bénichou. Du Musée Gallo-romain de Fourvière au Centre Culturel Charlie Chaplin à Vaulx-en-Velin, la pièce tournera dans l'agglomération lyonnaise, puis en RhônAlpes, avant d'être proposée au public algérien d'Oran, Alger, Bedjaïa, Tizi-Ouzou et Constantine. Des projets sont en cours pour une tournée plus lointaine vers le Moyen-Orient, en Israël et en Palestine notamment.
Ensuite, en collaboration avec le TNP, Géraldine Bénichou ouvre un "chantier de création" avec Sarah, Agar, Judith et les autres, un projet qui s'inscrit "à la croisée de textes archaïques tirés de la Genèse et de matériaux contemporains: Cinq voix dans un hôtel de montagne, de Lancelot Hamelin, un texte donnant la parole à une femme juive née à Oran, mariée à un policier français d'origine espagnole qui se retrouve à Paris à l'automne 1961…
Le spectacle, travaillé, essayé si l'on peut dire, en présence de différents publics, ceux qui se constituent dans le cadre des "Passerelles", sera présenté dans sa forme provisoirement définitive au cabaret du TNP, en mai 2006, avant de connaître à son tour des possibilités de tournées dans la région et au-delà.

Enfin, Dis-moi pourquoi dans le secret tu soupires et tu pleures se veut une "polyphonie théâtrale et musicale" d'après L'Odyssée. Depuis 1999, la Compagnie du Théâtre du Grabuge porte, fait entendre le texte d'Homère dans toutes sortes de lieux publics tels que la Gare de la Part-Dieu à Lyon, par exemple. Au fil du temps, dans la conséquence de cette manière constitutive qu'a la Compagnie de travailler en "Passerelles" et, cette fois, avec la complicité des Maisons de Quartier de la ville d'Eragny-sur-Oise, le projet évolue peu à peu vers cette ambition de mêler plus fortement encore le théâtre et la musique. Le spectacle en préparation est devenu une commande officielle de la Fondation Royaumont et sera représenté dans le cloître de l'abbaye du même nom avant d'être proposé, la saison prochaine, au public de RhônAlpes. On l'aura compris, le Théâtre du Grabuge, en dépit du nom qu'il s'est attribué (peut-être par humour, qui sait?) ne cesse de construire des projets hauts et forts pour rassembler tous les publics possibles, à commencer par ceux qui, étant donné les conditions mêmes de leur vie, semblent les plus éloignés de préoccupations artistiques.

Le cri d'Antigone / D'après l'œuvre d'Henry Bauchau
15/12 à 18h30 et 16/12 à 20h : Musée Gallo-romain de Fourvière
puis tournée à Bourg-en-Bresse, Divonne-les-Bains, Meylan, Vaulx-en-Velin, Albertville (février 2006), Voiron (mars), Rillieux-la-Pape, Vénissieux (mai).
Sarah, Agar, Judith et les autres / D'après les récits de l'Ancien Testament, un texte de Lancelot Hamelin et des paroles contemporaines - Mai 2006: cabaret du TNP de Villeurbanne.
"Passerelles" autour de Sarah, Agar, Judith et les autres: 05/12 à 20h: Aralis - Cercle 76 - Villeurbanne; 06 /12 à 15h : Résidence Constant – Lyon 3e; 07/12 à 20h: Casa Jaurès - Lyon 7e; 08/12 à 15h : Petits Frères des Pauvres - Lyon 2e.
Dis-moi pourquoi dans le secret tu soupires et pleure  / D'après l'Odyssée d'Homère
Création d'une polyphonie théâtrale et musicale, avec un chœur d'habitants
De septembre 2005 à avril 2006: Maisons de Quartier d'Eragny-sur-Oise et cloître de l'abbaye de Royaumont.
Théâtre du Grabuge / Direction artistique : Géraldine Bénichou /
www.theatredugrabuge.com
Ph.: Le cri d'Antigone ©Christian Ganet