Thierry Martin-Scherrer,
Le Fantôme de Chopin, Par J-P Gavard-Perret."La fantôme de
Chopin : ce qui a survécu à ma faillite biologique décrétée par la naissance. Ce qui a survécu à l'acte de naissance et aux pilonnages ultérieurs infligés au cadavre "
écrit Martin-Scherrer D'où le caractère litigieux d'une existence qui sous ces sceaux fut marquée par le repli et le " zal " cette variation polonaise du Spleen, de ce mal de vivre et que Franz Liszt définit ainsi en parlant du compositeur
" coloré d'un reflet tantôt argent, tantôt ardent ".
L'" argent " tient au moments les plus dépressifs de la vie de Chopin, le côté " ardent " aux périodes où le créateur faisant abstraction de lui même par divers subterfuges (dont la création) tente d'envisager, plus que de subsister c'est-à-dire de naître, de vivre enfin. Sans être un simple prétexte, Chopin devient ainsi exemplaire de celui qui
entre " le génie de l'après-coup , la conscience du jamais plus et le brûlure du trop tard "
tente d'être, d'exister tant que faire se peut. Il est sûr que pour un tel créateur l'œuvre ne sauve rien : ne sauve rien pour lui ce qui ne l'empêche pas - au contraire même - de devenir une aide à ceux qui trouvent dans des accents désespérés la possibilité sinon de se refaire une santé du moins de savoir qu'ils ne sont pas seuls au monde à éprouver un sentiment de mésestime et d'inexistence. Martin Scherrer montre ainsi comment l'angoisse et la désespérance peut devenir une sorte de manière sinon d'être au moins de durer dans ce difficile métier qu'est la vie lorsqu'elle ne se charpente (ou presque) que de souffrance. L'auteur a donc trouvé sans doute chez Chopin et pour reprendre les mots de Baudelaire
" un semblable, un frère "
exemplaire et emblématique. Fantôme du fantôme, il propose une sorte de duo douloureux qui permet de comprendre non seulement le cas Chopin (et ce bien mieux que dans beaucoup de biographies du musicien) mais surtout comment la création peut fonctionner lorsque corps et âmes sont en débâcles. Ce livre est donc un livre grave (sans doute le plus douloureux de l'auteur) mais c'est à ce jour peut-être celui qui lui ressemble et l'habite le plus. Ainsi au moment où tant de prétendus écrivains se délectent et se contentent d'auto-fiction, l'auteur de " crayons pour un poème " a trouvé un moyen différent de se dire loin des enflures de l'ego. C'est pourquoi sans doute ici Chopin, comme son essayiste, nous semble si proche et touchant. Une vérité se perçoit comme si nous étions là à la racine de l'être et de sa souffrance, ainsi qu'à cette orée de celui-ci qui par sa création fait surgir de lui-même quelque chose qui non seulement se dit et se joue mais se métamorphose. L'auteur donne de cette façon dans son livre prenant et dense sinon des clés du moins des lumières sur ce qu'il en est non seulement d'un créateur mais de l'être. Ainsi, pour le lecteur, comme Chopin pour Martin-Scherrer, le compositeur et l'écrivain deviennent nos semblables, nos frères. Des frères humains dont les œuvres respectives ne sont pas faites pour nous enfoncer dans un manque à vivre mais, à l'inverse, afin de nous donner par la bande - loin de la " dégringolade lente et fascinante " qui toucha le musicien - des issues - même si forcément c'est à nous de découvrir le moyen de les franchir afin de nous sortir de ce qui nous encercle et que nous refusons parfois de faire bouger.
Thierry Martin-Scherrer, Le Fantôme de Chopin, coll. Entre ' yeux, Editions Lettres Vives Castellare di Casinga, 138 pages |