Roger Vailland et l'art Une relation singulière
par Yves NeyrollesIl y a quarante ans mourait Roger Vailland, un écrivain qui, plutôt
injustement, n'a pas encore vraiment trouvé sa place parmi ceux de sa génération, les Malraux, les Camus, les Sartre, les Nizan. Peu à peu cependant, on est amené à redécouvrir l'auteur de Beau Masque et de
325 000 francs, comme le moraliste du Regard Froid
qui marqua son époque tant par des choix politiques de plus en plus affirmés au lendemain de la Libération que par sa manière toute singulière de ne pas donner, d'un point de vue littéraire mais aussi, plus généralement, éthique et esthétique, dans l'orthodoxie du Parti dont il défendait les luttes quotidiennes.
Pour marquer ce quarantième anniversaire d'une disparition qui résiste plutôt bien au couperet du Temps, le Musée Chintreuil de Pont de Vaux a choisi d'offrir la quasi totalité de son espace rénové aux œuvres
d'artistes avec lesquels Roger Vailland a entretenu une relation d'amitié et de travail. Cela donne une exposition très éclectique mais, à coup sûr, passionnante à parcourir puisqu'à travers les choix de Vailland, elle
fait redécouvrir une part importante de la création du siècle dernier, à commencer par celle jaillie d'artistes comme Sima, Harfaux, Hoffmeister et Maurice Henry qui, avec le Grand Jeu, accompagnèrent le
mouvement surréaliste, et pour finir par un Hans Hartung et un Pierre Soulages, un Soulages qui n'est pas encore l'artiste contemporain universel qu'il est devenu aujourd'hui, mais déjà l'éminent représentant, en
France, de l'art abstrait — que Roger Vailland eut justement à défendre. N'oublions pas la présence, réaffirmée ici, d'un Costa Coulentianos à qui le Musée Chintreuil avait accordé une première exposition estivale
il y a trois ans (voir PlumArt N°46). À la recherche d'un subtil équilibre avec leur environnement naturel, les sculptures de ce grand amateur de l'acier Corten puis du fer à béton voisinent avec d'autres
œuvres dont Roger Vailland avait su parer les pièces de sa maison de Meillonnas: Franchina, Reinhoud ou encore Consagra, auteur de Reliefs comparables à de grandes pages de cuivre offrant l'énigme d'une écriture
à la fois très ancienne et très neuve, totalement hermétique comme pouvaient l'être les encres d'un Henri Michaux, c'est à dire tout à fait lisibles à condition d'entretenir avec elles un "commerce" radicalement
différent de celui que le dieu grec est censé protéger communément. L'exposition est ouverte tout l'été et jusqu'au cœur de l'automne. Elle est accompagnée d'un riche catalogue sur la couverture duquel, photographié
par Marc Garanger, Roger Vailland joue à poser en "souverain", semblant mesurer la qualité du regard que nous portons sur lui comme sur une toile de son ami Soulages devant laquelle il a choisi de se tenir. Ce très beau
portrait de l'écrivain doit sa réussite aussi bien à l'art très intelligent du photographe (composition, lumière) qu'à la fierté assumée du "modèle", un Vailland qui se montre en Don Cesare désenchanté du monde et
accroché, pour se retenir tout de même à la vie, à la seule vertu d'un art apparemment éloigné des combats du siècle, une authentique abstraction.
Roger Vailland et l'art: une relation singulière Exposition d'œuvres de Consagra, Coulentianos, Reinhoud D'Haese, Harfaux, Hartung, Maurice Hentry, Hoffmeister, Pignon, Sima, Singier, Soulages. De mai à novembre 2005 Musée Chintreuil
66 rue Maréchal de Lattre de Tassigny / Pont de Vaux (01) Renseignements : 03 85 51 45 65 |