l'Eglise en ses pompes

par Odile Blanc

Sandales, mules et pantoufles….

La chaussure, qui comme chacun sait existe depuis la plus haute antiquité, n'a pas ignoré les clercs. C'est ce que rappelle le Musée de Fourvière, qui expose toute une tripotée d'objets calcéologiques provenant de ses propres collections et d'ailleurs. La pièce la plus ancienne, prêtée par le Musée des tissus de Lyon, est une sandale du 12e siècle retrouvée dans la tombe d'un évêque de Périgueux, confectionnée de divers tissus façonnés et brodés de délicats rinceaux et d'animaux, où les fils d'or illuminent la soie. Ravissant.

Le nom de sandale s'applique en réalité, et ce jusqu'à une date récente, à une chaussure qui couvre entièrement le pied voire monte à la cheville, comme cet antique exemple, chaussure réservée au clerc lors de la célébration de l'office. Si les prêtres d'Israël officient pieds nus dans leur temple, point de ça chez nous : le dignitaire chrétien porte chaussure spéciale dès qu'il s'approche de l'autel. La sandale moderne, c'est-à-dire après le Concile de Trente en 1563, est une chaussure fermée, à talon plat, qui s'attache sur le coup de pied par des rubans de soie. Elle est en soie, unie et même sévèrement unie pour les chanoines, mais les prélats n'ont pas négligé les broderies et les ornements en passementerie de fils d'or, loin s'en faut. Ainsi Monseigneur André Bontems, archevêque de Chambéry, se fit-il confectionner vers 1960 une sandale de soie verte, fermée d'un ruban de soie d'un vert changeant, et brodée sur le dessus du pied d'épis de blé rouge et or. Quatre ans plus tard, une sandale liturgique romaine se pare d'un gros de Tours du même vert (correspondant au temps liturgique de Pâques) avec une trame en fil d'or, ce qui donne un effet lamé or très glitter. De surcroît, le bord de la chaussure, les coutures de côté et même le talon, sont recouverts d'une passementerie d'or. On peut comparer cette sobre et néanmoins somptueuse sandale avec d'autres plus anciennes, celle du cardinal Fesch par exemple, de plus de cent cinquante ans son aînée, confectionnée dans une soie rouge brodée de rinceaux et de la croix (tout de même), en filé or et cannetille, et au talon pareillement doré. Merveille.

On se retourne et là, ô surprise, des photographies nous montrent les sandales au pied de leurs propriétaires respectifs, et deux vitrines nous présentent les bas qui vont avec. Le bas liturgique est aussi ancien que la sandale (il n'est d'ailleurs pas toujours aisé de les distinguer, quand ladite sandale est dépourvue du moindre talon et monte sur la jambe). Un magnifique exemple, qui malheureusement n'a pu faire le voyage, est conservé au musée diocésain de Bamberg. Ce sont les bas du pape Clément II, taillés dans une somptueuse soierie incisée dont les motifs sont empruntés au vocabulaire textile de l'époque (végétaux et simurghs, oiseaux-dragons fabuleux). Mais nous avons les bas en gros de Tours lamé or, qui se portent avec les sandales de la même étoffe et ressemblent à des sortes de bottes larges dont le haut se ferme d'un galon de soie de même couleur. Sans parler des bas et mi-bas de tricot de soie ou de plus moderne fil d'écosse (dit bas français), qui portent pareillement les couleurs des temps liturgiques : blanc, vert, rouge, fuschia cardinalissime, violet de pénitence.

La sandale, qui doit être de couleur appropriée et de forme décente, c'est-à-dire point trop ouverte, n'en subit pas moins les influences des modes contemporaines. Ainsi ces sandales des 17e et 18e arborant talon rouge et large nœud sur le coup de pied sont en tous points semblables, hormis les symboles chrétiens lorsqu'ils sont présents, aux chaussures civiles de la même période. Et ce en dépit de certains règlements qui, de temps à autre, rappellent aux clercs leur statut et interdisent, qui les "trop oultrageuses poulaines", qui les souliers trop échancrés ou trop voyants. C'est vers la fin du 17 e siècle que s'impose un soulier de ville à talon plat, découvert, avec une boucle sur le dessus, qui ressemble à celui porté par les bourgeois. Celui du cardinal Gerlier, en 1937, est réalisé dans un cuir repeint, y compris la semelle, dans un rouge vermillon, orné d'une boucle en argent doré aujourd'hui oxydé. Pétulant, tout de même. On est très loin de celui du curé d'Ars, gros godillot déformé au cuir épais complètement tanné, rapiécé sur le devant (d'accord Josiane, c'est le diable qui a rongé le soulier, comme l'indique l'authentique scellé sur la semelle intérieure : quelle histoire !). Et très loin aussi du raffinement de ce qui ressemble davantage aux escarpins remis à l'honneur par un grand chausseur français dans les années 80 : effilés, talon plat, empeigne savante, cuir fauve délicat. C'est vrai, ce n'est pas parce qu'on s'éloigne de l'autel (provisoirement) qu'il faut se laisser aller. Escarpin, c'est le nom des souliers noirs du camérier secret surnuméraire (plus proche du pape tu meurs) : très fins et décolletés, avec une sorte de camélia de velours sur le coup de pied. Ah ! la cour papale et ses fantastiques costumes de gala… Pour sûr, certains ont du s'en inspirer. A l'opposé, vous avez les new balance, modèle 715, de Monseigneur Barbarin, archevêque de Lyon et sportif émérite. Depuis Vatican II surtout, la tolérance pour des souliers de ville cléricaux qui ressemblent à des souliers de ville civils est grande.

Le pape a un régime spécial – on s'en doutait un peu. La sandale papale s'est distinguée, dans les temps anciens, par une croix brodée sur son empeigne, comme on le voit encore sur des exemplaires des 19e et 20e siècles. Pour vaquer aux affaires du palais, le port du soulier rouge s'impose. Rubea calciamenta papalia. Le rouge est bien sûr la couleur du pouvoir, celle des empereurs byzantins, dont les vêtements de soie étaient trempés dans la pourpre provenant de ce coquillage appelé murex, celle des rois et des grands de ce monde, pourpre ou écarlate. Ces souliers rouges prennent le nom de mule vers la fin du 16 e siècle, et le pape va désormais chaussé de mules rouges brodées d'une croix que les fidèles baisent fiévreusement. Celle de Pie X, très plates, confectionnées dans un velours de soie rubicond sur lequel courent des entrelacs végétaux en fil d'or, fermées d'un gland de passementerie or, ne sont pas sans évoquer les chaussures d'intérieur des élégantes d'avant la grande guerre. Le pape actuel porte des mules taillées dans un cuir rouge sombre, avec une languette montante, sans lacets, réalisées par le maître bottier Gianfranco Pittanel, chausseur des têtes couronnées.

L'exposition montre encore les pantoufles portées par les prélats orthodoxes ; les brodequins épais des moines (deux kilos chacun, tout de même) et les sandales home made des moniales, façon scholl avec semelles faites dans de vieux pneus ; les sandales des missionnaires en Chine, ornées de dragons et dont la pointe s'allonge comme une pagode ; enfin quelques exemples très actuels arborés par les pèlerins de Compostelle, du mocassin bateau jusqu'à la chaussure de montagne. Et puis, dans un coin et dans un malicieux clin d'œil, une chaussure de femme des années cinquante, vraie sandale très ouverte et à talon haut (une sandale de bonne femme, quoi), dont les fines lanières portent un motif de vitrail dérobé à la cathédrale de Reims. Ils ne manquent pas d'humour dans ce musée décidément plein de ressources.

En sortant, regardant ses pieds, Josiane s'interroge et se "mélancolise" sur la pompe perdue des pompes…

Souliers d'Eglise :jusqu'au 08/12 2003
Musée de Fourvière :
www.fourviere.org