Philippe Clerc, Oostende Par Jean-Paul Gavard-Perret L'obscur désir du réel Comme dans chacun des textes de l'auteur, Oostende
repose la question de l'écriture du réel et de son hybridation. En effet chaque livre de Clerc reprend à sa manière la façon d'écrire en vignettes (texte écrit dans un encart qui rappelle un tel format) .
Ce choix n'est pas innocent tant il appelle à son horizon une sorte de représentation visuelle. Mais son traitement chez l'auteur devient une torsion de l'image et du texte. La première est remplacée par le texte, et celui-ci écrit en une langue apparemment descriptive sans cesse dynamitée de l'intérieur jusqu'à une perte de reconnaissance que (et à titre d'exemple) la multiplicité confondante des prénoms brouille volontairement et habilement. Ainsi contre une littérature "utilitariste", pragmatique, en prise immédiate sur le réel Clerc repose la question du sens à apporter aux (pour reprendre Hugo)
" choses vues ".
Le filtre de la langue, son effet de transparence troublée troue ou plutôt malaxe une réalité descriptive apparemment facilement compréhensible. D'où par la découpe-même de la vignette une "monstration" au moyen de ce qu'on pourrait appeler un hyperréalisme paradoxal. Fragmentées sous forme de puzzle dépareillé que reste-t-il alors de ces cartes postales intimistes et froides d'Oostende ? Rien ou presque. Rien qu'une ironisation confondant la scansion et les abrupts du texte.
Se fondant non seulement sur une tradition du trompe l'œil, et de l'illusion, mais ne refusant pas en un premier temps l'anecdote de la représentation, l'hyperréalisme devient en conséquence un moyen de
réduire à néant toute subjectivité intimiste. Par les pores visibles de la description s'infuse ainsi un virus. Au réel succède sa fibre dégraissée au service d'un dépassement des effets de mimesis. Au coeur du réel
nous sommes ainsi conduits bien loin de la "figuration". Clerc nous en propose la figure renversée, déversée et son "évasement".. Certes l'attaque du réalisme n'est pas directe. Mais elle n'en est pas moins
spectaculaire : des suites de grain de sable viennent mettre à mal les rouages de la représentation ce qui cependant n'évacue pas forcément une dimension d'émotion aussi étrange et prégnante. D'où une vision en
accentuation de la vie et de l'être humain : ici c'est l'émotion qui parle à travers une certaine froideur objective et par-delà le réalisme qu'il soit psychologique ou social. C'est pourquoi Philippe Clerc renouvelle
la façon de dire le réel. Evitant certaines confusions qui touchent au réalisme et à l'hybride il manifeste aussi une sorte d'éthique littéraire : la tentative de ne pas céder à des mythologies particulièrement
flatteuses au regard
tant son écriture possède une rigueur particulière et porte l'accent sur une forme de lucidité qui met à mal l'illusion toujours possible de la représentation. L'habileté de l'auteur suppose enfin et par-delà la brillance évidente de la technique une "vertu": les rapprochements plus que suggestifs avec le réel font éclater ce dernier par amour d'une vérité qui nous échappe mais que l'auteur d'
Oostende nous met devant les yeux en proposant d'une manière aussi ironique que sérieuse une manière de guérir de nos illusions d'optique - et des autres aussi. Philippe Clerc, Oostende, Trait Court, Passage d'encres, Romainville, 128 pages, 2 E. |