Réhabilitation du coteau de Brézème. Comment Livron renoue avec son patrimoine par Florence CharpignyDébut août, début d'après-midi. Ciel pur,
soleil écrasant. Pas un brin d'ombre. Quelle idée, de l'ombre dans une vigne! En contrebas, la vallée de la Drôme, les arbres fruitiers reconnaissables à leur
parfait alignement. Pas un souffle. "Ici, on est à l'abri du mistral. C'est pour cela que les Livronnais sont toujours venus s'y promener. Il y a de la valériane, de l'asperge sauvage, des orchidées,
toute une flore méditerranéenne. Les gens vont à la Tour du Diable, à l'ermitage. Maintenant, ils viennent aussi voir le vignoble." Jean-Marie Lombard désigne sa vigne, quelques terrasses
sur le coteau de Brézème. Un coteau abrupt. Les cailloux du chemin roulent sous les pieds. De vigoureux plans de syrah commencent à se développer.
"Des clones, mais de plusieurs variétés, c'est pour cela que certains poussent plus vite. Ils sont bien partis, il faut du soleil maintenant" commente sobrement
le vigneron, "la première vinification sera en vin de pays, en 2004. Et en 2005, en AOC." L'AOC Côtes du Rhône, avec, par dérogation, l'autorisation de se dénommer Brézème. Pratiquement abandonnées depuis la
crise du phylloxéra, les terrasses du coteau de Brézème entament leur renaissance.
Les Côtes du Rhône ont souffert d'une réputation de gros rouge qui tache aussi fâcheuse qu'injuste. Les producteurs misent depuis longtemps sur la qualité et à Lyon, où on a abandonné le
Beaujolais aux Parisiens, on est fidèle au "pot de Côtes", on s'aventure même au-delà du traditionnel Saint-Joseph. Vers le Brézème, par exemple, de plus en plus souvent présent dans les caves des
restaurants. Entre Hermitage et Châteauneuf-du-Pape, à l'extrême sud des Côtes du Rhône septentrionales, sur la commune de Livron, le Brézème est
actuellement produit sur 24 hectares, rouge en grande majorité (syrah), mais aussi blanc (roussane, marsanne et viognier). Le vignoble se situe aux lieux-dits de Fontgrand, des Davids, de La Rolière. Et sur le coteau de
Brézème, là où, probablement avant même le XVIe siècle - des archives y attestent la présence de la vigne -, tout a commencé. L'histoire récente du vignoble de Livron est bien connue *, qui montre l'empathie profonde du lieu, des hommes et de la vigne. Associé à d'autres
cultures, il occupait 266 hectares en 1812, produisant en majorité du vin ordinaire. Le vignoble de qualité ne recouvrait qu'une vingtaine d'hectares sur le coteau de Brézème, particulièrement
abrité. Les grandes familles locales s'y intéressent et, tout au long du XIXe siècle, s'emploient, par achat, héritage ou stratégie matrimoniale, à s'approprier l'ensemble du coteau. Pour ces grands propriétaires,
épris d'agronomie et animés par une forte volonté d'innovation, il s'agit, par l'exemple, d'éduquer les propriétaires de petites tenures, et de s'orienter vers
une production de qualité. Ce sont eux qui, au tout début du XIXe siècle, ont introduit sur le coteau les plans de syrah, en remplacement des clairette,
roussette, picpoul et autre picardan dont la conservation était limitée. Ce sont eux aussi qui, dans les années 1820 et 1850, plantent en plaine et produisent
les premiers vins blancs. Après l'apparition du phylloxéra dans la commune, en 1871, ils choisiront le greffage sur des porte-greffes américains, plus
résistants : les plants malades sont systématiquement arrachés, réduisant le vignoble à 14 hectares en 1884. La reconstitution est partielle, fragmentée,
particulièrement sur le coteau où les parcelles sont au mieux transformées en terres labourables, au pire complètement abandonnées. Probablement parce
que le vignoble en terrasses demande une main d'œuvre abondante, et que, exode rural oblige, les bras manquent. Probablement aussi parce que la
mécanisation, introduite en plaine à un moment où l'amortissement du coût de la reconstitution exige des rendements élevés, ne s'y applique pas. Et que la
professionnalisation de l'activité vitivinicole, amorcée dès la fin du XIXe siècle, fait que les vins que l'on y produit sont équivalents en qualité à ceux
des terrasses. Les notables abandonnent le coteau, voire même l'agriculture, pour des activités industrielles ou commerciales. Et, dans l'indifférence générale, la Belle au Bois dormant commence à attendre son Prince
charmant. Qui arrive, au début des années 90, sous les
traits de Jean-Marie Lombard, viticulteur à Livron, accompagné de la bonne fée Communauté de communes du Val de Drôme. Jean-Marie Lombard a commencé par produire des fruits. Devant les crises
répétées, il finit par arracher ses arbres pour augmenter sa surface de vigne. Encouragé par des amateurs, conseillé par un producteur de Saint-Joseph, se formant à l'université du vin de Suze-la-Rousse,
il est le premier, à Livron, à vinifier lui-même, au domaine, dès 1981. Un peu de vin de pays, dont un syrah piqué de viognier qui plaît beaucoup au
Japon, mais surtout du Brézème rouge, vinifié en cuve de béton, puis élevé en fûts. Ses cuvées de prestige Eugène de Monicault, en hommage au grand
propriétaire qui, au XIXe siècle, a travaillé à l'uniformisation de l'appellation du vignoble, sont servies aux meilleures tables lyonnaises, exportées en Suisse
et en Grande-Bretagne. A partir de 1994, il entame la production de Brézème blanc, auquel le terroir se prête bien, qui fermente en fûts de chêne
avant d'être élevé sur lie. "C'est un peu plus fragile", commente-t-il modestement. Tout aussi modestement que lorsqu'il raconte l'épopée de la
réhabilitation du fameux coteau de Brézème, long de 6 km, qui culmine à 260 m, au pied des vestiges de la ville fortifiée de Livron - la fameuse Tour du
Diable -, en zone AOC. Il y possède des terrasses et, dès le début des années1990, songe à replanter. Peu à peu, le projet de réhabilitation du vignoble en terrasses voit le jour, affiné par la Communauté de communes du
Val de Drôme qui en fait un projet global, incluant la mise en valeur touristique du site. Plus de dix ans après, dix années de travail patient et
obstiné pour tous les partenaires, la première phase vient de se terminer : la réfection d'une zone-test. Retour au soleil. Ici encore, Jean-Marie Lombard a été le premier. Le
premier viticulteur propriétaire de terrasses à tenir le pari, à replanter un vignoble qu'il va vinifier à part, pour une nouvelle cuvée de prestige. "Pour les
terrasses, il y a plusieurs façons de faire. On a eu des études poussées. J'ai choisi de conserver le talus en l'état, de ne pas tout remonter systématiquement. J'ai fait bêcher par une entreprise spécialisée, avec des
petites pelles mécaniques, en faisant bouger la terre le moins possible. On m'a dit que ça ne tiendrait jamais, que tout allait s'ébouler sur la route, en
contrebas. Mais quand on a eu des pluies terribles, comme on n'en avait pas eues depuis longtemps, rien n'a glissé! Mon voisin a fait différemment. Il a fait
remonter entièrement ses terrasses. Rien n'a bougé non plus, remarquez", ajoute-t-il en souriant. Et le sentier d'interprétation, qui passe le long des
vignes ? Il ne semble pas l'inquiéter : "Les gens se sont toujours promenés par ici. On a mis des panneaux, en demandant qu'ils n'entrent pas sur les
parcelles. Les panneaux sont toujours en place, ils n'ont pas été arrachés, il n'y a pas de dégâts. C'est une zone-test, de toutes façons, un peu plus d'un
hectare et demi. Il faut voir comment cela va évoluer, si on peut mécaniser avec du micro-matériel par exemple, comment on va continuer." Mais je sens
bien que Jean-Marie Lombard imagine déjà le moment où il va faire goûter son Brézème du coteau à ses clients, dans son caveau. Et même celui où l'INAO fera du Brézème un cru classé. Puisque les amateurs éclairés le
considèrent déjà comme tel. Contact : Communauté de communes du Val de Drôme - Crest 04 75 25 43 82
* Grâce aux travaux universitaires de Yann Stéphan. Les éléments ci-dessus sont tirés de "Permanences et mutations dans un vignoble de la côte du Rhône au XIXe siècle, Livron-sur-Drôme
", in Clio dans les vignes: mélanges offerts à Gilbert Garrier, sous la dir. de Jean-Luc Mayaud, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1998. Photo de l'inauguration : (de gauche à droite)
Au premier plan P-G. CAILLY, Vice-président de la Communauté de Communes, chargé de l'agriculture J-L. HILAIRE, Vice-président de la Communauté de Communes, chargé du tourisme et du patrimoine
C. LAURIAS, Président de la Chambre d'Agriculture (en train de planter), J-M. LOMBARD, viticulteur Puis J. LADEGAILLERIE, Maire de Loriol et Conseiller Général, E. BESSON, Député de la Drôme
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