Deux notations dans le baroque

Par Dominique Dubreuil

Gérard Lesne dans le cours du ruisseau (J.S.Bach) ou même revenant un peu en amont familial (Johann Michael et Christoph): on ne s'y attend guère, tant l'habitude a été prise d'admirer le travail du chanteur-chef dans les répertoires de France et d'Italie…A tel point que le cadre baroque jubilant de la Trinité semble presque décalé quand Il Seminario y explore les œuvres du piétisme réformé-allemand, dont la lignée des Bach n'a cessé de se faire traductrice. Il est vrai que ce chant d'effusion et d'imploration mystiques a pour seul luxe les figuralismes et une mini-théâtralisation des affects pieux. L'art de Gérard Lesne, par le biais de la tension maîtrisée – mais inquiète? ou davantage frémissante d'interrogation sur les fins et moyens de l'art sacralisé? – conduit à des hauteurs où l'engagement physique et psychologique de l'interprète se donne à percevoir. Une si touchante vérité, à l'inverse de la virtuosité d'essence décorative souvent en usage dans le baroque religieux, intrigue et trouble. L'éclaircie instrumentale des sonates de Jean-Sébastien n'en est que plus nécessaire: et alors les présences fondatrices du Seminario (Bruno Cocset, Blandine Rannou…) reçoivent la lumière exceptionnelle du plus récent 1 er violon, Patrick Bismuth. Et tout le groupe paraît alors plus complice, heureux et soudé.

vision soliste plus intime – mais avec l'espace intimidant de la Grande Salle du Musée des Tissus, obligatoirement soumise à un éclairage tamisé -, Christophe Rousset magnifie l'ordre subtil du clavecin français (XVIIe et XVIIIe). Comme dans ces époques où la musique à l'instar de la littérature aime à tracer des portraits, et se penchant sur les autres, rencontre l'énigme de sa propre image, le claveciniste interroge le fugace et "admirable tremblement du temps". Et son inspiration semble puiser aux formes et couleurs du merveilleux Donzelague, dont le couvercle relevé fait jouer en se perdant vers Cythère la farandole bleutée des amours ou contrepointe le retombé en volute du palmier avec la tendre verticale du peuplier. Ainsi allons-nous à la rencontre des soubassements d'un portail  sévère (Passacaille de Louis Couperin), des dalles de "la massive nuit" pour un Tombeau de d'Anglebert, avant d'accéder à la transparence des intermittences du cœur sondé par François Couperin, puis de retourner à la conscience abrupte et remâchante (un Alceste misanthrope?) chez Jean-Baptiste Forqueray…Et en bis, tout autrement que dans son disque consacré à N.P.Royer, Christophe Rousset donne au surprenant Vertigo des allures de Continuum ligetien. Tels sont les poètes d'un instrument…
(Festival du Vieux Lyon, 13 et 15 décembre 2001)