Mourad Merzouki ou le tracé singulier

 par Nathalie Demichel

En ce début janvier, la scène du Centre Culturel de Saint-Priest est animée d'une activité fébrile. Des danseurs s'échauffent, et, dans un coin, Mourad Merzouki, le directeur de la compagnie Kafig,
compte et recompte les temps d'une musique. Quelques semaines le séparent de la création à la Maison de la Danse de "Dix versions" et tant de choses restent à mettre en place...
La pression monte. D'autant plus qu'à la suite
du succès de son dernier spectacle "Récital"
(donné plus de 150 fois), l'enjeu est de taille:
certains l'attendent au tournant. Pourtant, là où d'autres perdraient leur calme, Mourad Merzouki
reste égal à lui-même, posé, réfléchi, exigeant, obstiné.

Il trace son sillon, imperturbablement. Ces dix dernières années ont prouvé qu'il n'était pas du genre à perdre le fil. Après des premiers pas à l'école du cirque de Saint-Priest, il avait, en 1989, co-fondé avec succès, la compagnie de hip-hop Accrorap. Ça fonctionnait bien, mais il "voulait aller au bout de ce qu'il avait envie de faire". Il a donc quitté le cocon douillet de la bande de copains pour voler de ses propres ailes. Il lui a fallu un certain courage pour tout risquer et recommencer.

"Lorsque j'ai quitté Accrorap, il y avait le doute, mais il y avait aussi la rage. J'avais un grand défi à relever, on ne compte plus alors ses heures" Le résultat est là : en quelques années, il a fait de Kafig une des compagnie les plus intéressantes dans le monde du hip-hop en lui permettant d¹accéder à une dimension réellement artistique. Tandis que la plupart des troupes tournent en rond et s'enlisent dans la répétition de figures stéréotypées, dans le ressassement de thèmes élimés, sans même avoir l'enthousiasme des débuts, Kafig apporte un bol d¹air frais et démontre que le hip-hop peut aller au delà du simple phénomène social en devenant une voie artistique à part entière. Comment explique-t-il qu'il est en passe de réussir là où beaucoup stagnent?

"Le cirque m'a apporté une ouverture artistique vers d'autres disciplines, le jonglage, le monocycle, le trapèze... ça a nourri ma recherche, car quand on a vu d'autres choses, on n'hésite pas à essayer. J'ai aussi travaillé avec des chorégraphes contemporains (Josette Baïz, Jean-François Duroure) et j'ai participé à des co-créations avec eux. Ces expériences m¹ont apporté une ouverture sur d'autres méthodes de travail. Le résultat de "Récital", je le dois aussi à ces rencontres là. Le diagnostic concernant les autres compagnies est clair. C'est vrai que beaucoup de danseurs de hip-hop n'arrivent pas à passer la vitesse supérieure. Pour sortir de la redite, il faut se remettre en cause, se critiquer et prendre des risques. C'est un vrai travail en profondeur La remise en question n'est pas un simple vœu pieu. Ainsi, le nouveau spectacle, "Dix versions", adoptera une démarche inhabituelle pour du hip-hop. Bien loin de la succession habituelle de soli et de mouvements d'ensemble basés sur la technique, et vaguement reliés entre eux par une histoire, Mourad Merzouki a un point de départ simple, presque abstrait : une géométrie de volumes  (cercle, rectangle, carré), des couleurs, des corps.

La confrontation des danseurs avec cet environnement amenant surprises, humour et personnages inattendus. C'est la simple application sur le plateau des questions que se pose Mourad Merzouki sur la mise en scène, le travail sur l'espace, la recherche gestuelle. Des questions de "vrai" chorégraphe, en somme... qui augurent bien de l'avenir. Son avenir, d'ailleurs, comment l'envisage-t-il? "Je vis chaque pièce l'une après l'autre, au jour le jour. A chaque fois, c'est une nouvelle étape et je la prends comme elle arrive. Le danger serait d'essayer de voir trop loin : on finit par ne plus rien faire."

"Dix versions" du 20 au 24 février, à la Maison de la Danse de Lyon
www.maisondeladanse.com

Photo : © D.Tivoli